Fryette et les manipulations cervicales, un concept évoluant.

La manipulation cervicale se trouve aujourd’hui en position curieuse. Alors que sa dangerosité fait toujours débat, peu de personnes cherchent à comprendre les fondements de son efficacité. Walid Salem ( Rédacteur en chef d’Ostéopathe magazine) s’est penché sur la question. Il nous livre le résultat de ses travaux de recherche.

Pour commencer un bref rappel historique de l’évolution du concept biomécanique du rachis cervical.

Au cours du siècle passé, la manipulation du rachis cervical par la technique à haute vitesse a été largement enseignée en médecine manuelle sous forme de simples techniques de torsion à l’aide de deux composantes principales de mouvement : la rotation axiale et la traction.

Selon les modèles explicatifs de Cyriax (1984) et Maigne (1996), la manipulation doit se produire à la fin de l’amplitude des mouvements, située quelque part entre la barrière anatomique et la luxation articulaire.

La colonne cervicale doit être placée dans une position opposée à celle des mouvements couplés physiologiques (Gibbons et Tehan, 2001; McCarthy, 2001; Padhy et al., 2009) et certains auteurs ajoutent que le segment vertébral sur lequel le clinicien veut produire la cavitation ne devrait jamais être bloqué.

Cette idée est partagée par Evans et Breen (2006) et le verrouillage ne doit concerner que les étages supérieurs à au segment vertébral cible. Techniquement, ce mécanisme de verrouillage est réalisé lorsque le clinicien perçoit la fin du mouvement ou mise en tension finale classiquement appelée « barrière motrice » sur l’étage à manipuler.

Le choix de la technique, les composantes du mouvement et les amplitudes articulaires restent cependant des éléments déterminants dans la réussite de la manipulation.

Nous retiendrons les effets thérapeutique de la manipulation cervicale:

En effet, les manipulations par techniques à haute vitesse améliorent les symptomatologies telles que les torticolis, les cervicalgies et certaines formes de céphalées (Coulter,1998). Certains chercheurs ont en effet démontré que les techniques HVBA (haute vélocité basse amplitude) augmentent immédiatement l’amplitude du mouvement de l’articulation concernée (Mierau et al., 1988 ; Cassidy et al., 1992 ; Nansel etal., 1992 ; Nilsson et al., 1996 ; Whittingham et Nilsson, 2001).

Pour d’autres auteurs (Gross et al., 2010; Miller et al., 2010), les preuves de l’efficacité de la manipulation à court terme dans les douleurs cervicales aiguës ou chroniques sont de faible qualité.

Les bases théoriques permettant d’expliquer leurs mécanismes biomécaniques fondamentaux sont également pauvres. Plusieurs questions importantes restent donc en suspens :

– La manipulation cervicale se définit par le positionnement de la tête en latéroflexion homolatérale et par l’application d’une rotation hétérolatérale, d’une flexion ou d’une extension, d’une traction ou d’une compression selon les lois de Fryett. Pourquoi cette description a-t-elle été retenue ?

– Est-ce que la cinématique tridimensionnelle de la manipulation respecte la physiologie articulaire de la colonne cervicale en termes de mouvements couplés ?

– Quelle est la validité de certains modèles qui proposent de réaliser des manipulations au plus près de la barrière anatomique (donc proche de la luxation articulaire) ? Des modèles qui, par conséquent, considèrent les manipulations cervicales très dangereuses.

La manipulation cervicale présente un risque clinique très particulier. Faible, mais réel, et qui peut être fatal pour le patient.

Ce risque est essentiellement lié à la lésion de l’artère vertébrale. Risque augmenté par une rotation complète associée à une traction de la colonne cervicale (Thiel et al., 1994;Kuether et al., 1997).

Cependant il faut préciser que l’utilisation d’AINS (Anti-inflamatoires non stéroïdiens) peut induire des complications graves allant jusqu’à la mort avec une incidence moyenne d’environ 2 % par an et jusqu’à 10 % par an pour les patients à haut risque (Silverstein et al., 1995) alors que le risque de complication d’une manipulation cervicale est de 5 à 10 pour 10 millions.

En 2013, Walid Salem et son équipe ont mené une étude tomodensitométrique fonctionnelle auprès de 20 sujets asymptomatiques (Salem et al., 2013). Pour chaque sujet, deux clichés étaient réalisés : l’un en position neutre et l’autre en rotation maximale passive de la tête.

L’objectif de cette étude était double:

Premièrement : quantifier la cinématique inter segmentaire et qualifier les mouvements 3D couplés lors de la rotation maximale de la tête in vivo.

Deuxièmement: constituer une base de données de référence pour les comparer avec des images recueillies lors des manipulations cervicales.

Cette étude à met en évidence un nouvel axe de mouvement des cervicales, un axe hélicoïdale. L’axe hélicoïdal permet alors de déterminer la cinématique complète d’un mobile avec six degrés de liberté (trois pour les rotations et trois pour les translations) remettant en cause les modèle préétablis par les lois de Fryett.

Les résultats de cette étude révèlent que l’amplitude maximale moyenne lors de la rotation de la tête est de 72,6° ± 5,3. Selon le niveau du rachis cervical considéré, supérieur ou inférieur, l’amplitude de cette rotation varie. Ainsi, 60 à 70 % de la rotation axiale est réalisée dans le rachis cervical supérieur (C0-C1-C2) où l’on peut également observer une latéroflexion hétérolatérale et une extension.

Au niveau du rachis cervical inférieur, on observera plutôt une latéroflexion homolatérale et une extension pour les niveaux situés au-dessus de C5 et une flexion pour les niveaux inférieurs. Si l’on considère l’atlas (C1) en particulier, on peut observer une translation caudale supplémentaire (de l’ordre de 2 à 3mm) le long de l’axe du mouvement par rapport à l’axis (C2).

Cette « danse de l’atlas » pendant la rotation peut être intéressante au niveau clinique pour réduire la tension dans les ligaments alaires et ainsi les protéger.

Une étude réalisée en 2006 par Ishii et al. a permis d’étudier la latéroflexion maximale par rapport à la position neutre en utilisant l’IRM fonctionnelle. Les résultats montrent qu’au niveau du rachis cervical supérieur, la latéroflexion est associée à une rotation hétérolatérale et une légère extension. Au niveau des étages inférieurs, la latéroflexion est quant à elle associée à une rotation homolatérale et une flexion-extension.

Ce modèle expérimental de l’atlas s’oppose ainsi au modèle théorique de « hot dog » dans lequel la première vertèbre cervicale est prise en coin entre l’occiput et l’axis pour être chassée vers le côté opposé à la latéroflexion.

On peut donc conclure que l’évolution du matérielle d’étude permet d’améliorer les différentes approches techniques en ostéopathie, placant l’anatomie et la biomécanique au centre de l’attention de l’Ostéopathe.

Cette article est tiré de:

Physiologie de la colonne cervicale : Fryette, hors-la-loi ? L’ostéopathe magazine numéro 19 – www.osteomag.fr